Tout le monde s’accorde aujourd’hui sur un point : les taux de MO des sols doivent être remontés pour maintenir leur fertilité. Mais entre composts, fumiers, lisiers, digestats, résidus de culture ou couverts végétaux, les produits organiques que l’on peut apporter au sol sont nombreux et n’ont pas du tout les mêmes effets.
C’est là que les malentendus commencent : on pense souvent qu’apporter de la matière organique, c’est forcément nourrir le sol. En réalité, cela dépend énormément de la qualité de cette matière organique. Et c’est justement là que se joue la différence entre un sol « plein » et un sol « vivant ».
Quantité ou qualité : la confusion qui fausse le raisonnement
On parle beaucoup d’augmenter les taux de MO dans les sols. Mais on confond souvent quantité et qualité.
Or, la nature d’un apport organique, c’est ce qui va déterminer son devenir dans le sol et ses effets sur le sol
- Est-ce qu’on améliore sa structure et sa stabilité ?
- Est-ce qu’on stimule la vie microbienne ?
- Apporte t’on des éléments nutritifs ou, au contraire, est-ce qu’on provoque des déséquilibres ?
Pour faire ces distinctions, deux indicateurs sont essentiels à prendre en compte :
l’ISMO, l’indice de stabilité de la matière organique, et
le rapport C/N, qui mesure l’équilibre entre carbone et azote.
L’ISMO : comprendre ce que le sol va “digérer” ou “stocker”
L’ISMO exprime la part de matière organique qui reste stable dans le sol après un an.
Un produit avec un ISMO de 80 % (comme un compost mûr) laisse 80 % de sa MO toujours présente au bout d’un an.
À l’inverse, un couvert végétal, un lisier ou un fumier frais ont un ISMO faible : ils sont rapidement digérés par la vie du sol.
En d’autres termes :
- Les produits stables (ISMO élevé) vont renforcer directement le stock de MO durable et donc vont jouer sur la physique du sol.
- Les produits avec peu de MO stable s (ISMO faible) vont avoir plutôt un rôle de carburant immédiat pour la vie microbienne qui produira in fine de la MO stable mais en ayant libéré des éléments nutritifs au cours des processus de minéralisations successives
Ce qui amène à un point clé : ce n’est pas parce qu’un produit augmente le taux de MO qu’il augmente les flux de fertilité.
Prenons le cas d’un compost très mûr. Il fait remonter le taux de MO total certes, mais cette MO, très stable, est peu active biologiquement. Elle ne nourrit pas les micro-organismes et ne participe pas aux cycles rapides de nutriments.
Résultat : on améliore la structure, mais pas forcément le flux de fertilité. D’où l’importance de raisonner la “ration alimentaire” du sol selon ses objectifs.
L’autre pièce du puzzle : le rapport C/N
L’ISMO ne dit pas tout : un produit peut être très digestible (faible ISMO) et pourtant provoquer un déficit temporaire d’élément nutritif. C’est la faim d’azote. L’indicateur pour évaluer le risque de faim d’azote concernant un produit organique est le rapport C/N.
Ce rapport indique combien d’unités de carbone (C) il y a pour une unité d’azote (N). Pour des ISMO relativement proches,
- Une paille a un C/N d’environ 100 : elle contient 100 fois plus de carbone que d’azote.
- Un lisier ou un couvert jeune a un C/N autour de 8 à 15 : beaucoup plus équilibré.
Or, pour digérer une matière très carbonée, les micro-organismes ont besoin d’azote, base de leurs constituants de fonctionnement.
Si l’apport en contient peu, ils vont le prélever dans le sol au détriment de l’alimentation des plantes : c’est la faim d’azote. C’est pour cela qu’un apport de paille “énergétique” peut paradoxalement ralentir la fertilité à court terme, alors qu’un fumier jeune ou un lisier va la stimuler rapidement.
On comprend ici que l’ISMO et le C/N doivent être lus ensemble :
- Le premier indique si la matière s’accumule ou se dégrade vite.
- Le second dit si cette dégradation se fait avec ou sans déficit d’azote.
C’est la combinaison des deux qui permet d’équilibrer la “ration du sol”. Bien déterminer les caractéristiques de ses apports est donc un préalable indispensable.
Ajuster les apports : une question de diagnostic
Connaître ces indicateurs est une chose, mais encore faut-il les replacer dans le contexte du sol.
Ainsi, avant de choisir ses produits organiques :
- On vérifie que les conditions physiques (structure, porosité, pH) sont bonnes
- On diagnostique le statut organique du sol (analyse de laboratoire).
Car un sol tassé ou acide ne valorisera jamais correctement la MO qu’on lui apporte, quelle qu’en soit la qualité.
Une fois ce diagnostic posé, le raisonnement devient clair :
- Sol peu structuré ? → privilégier des MO stables, type compost ou fumier mûr.
- Sol pauvre en vie microbienne ? → couverts végétaux, effluents jeunes.
- Besoin de relancer la minéralisation ? → produits équilibrés en C/N.
En résumé : nourrir un sol, c’est d’abord le comprendre
Apporter de la matière organique n’est pas une fin en soi. C’est un levier puissant pour soutenir les piliers de la fertilité, à condition de savoir ce que l’on nourrit et avec quoi. La clé, ce n’est pas de “rajouter du carbone” mais de raisonner la qualité de ce carbone en fonction du contexte et des objectifs.
En somme : Un sol ne se remplit pas, il se nourrit pour qu’il puisse, lui même, in fine, assurer la nutrition des cultures et le maintien des productivités C’est tout le sens des formations AgroCursus et FertiCursus d’Icosystème : aider les agriculteurs et techniciens à piloter la fertilité de leurs sols avec méthode, données, et bon sens agronomique.