Agriculture régénératrice : une étude bouscule les idées reçues

L’agriculture régénératrice est un modèle économiquement rentable et durable

Cette année culturale très difficile impose une sérieuse remise en question des modèles technico-économiques de notre agriculture. Une étude récente du Boston Consulting Group (BCG), cabinet de conseil mondialement reconnu, bouscule les idées reçues sur l’agriculture régénératrice. Loin d’être une approche idéaliste aux rendements incertains et aux coûts prohibitifs, elle s’avère être un modèle économiquement viable et prometteur. Décryptons ensemble les chiffres clés de cette analyse rigoureuse qui confirme les pistes de réflexion engagées par beaucoup en France.

Le contexte de l’étude :

Le BCG a mené une analyse approfondie du potentiel de l’agriculture régénératrice sur différents types d’exploitations agricoles allemandes, avec un focus particulier sur les cultures céréalières et oléagineuses. Les chercheurs ont analysé l’impact des pratiques régénératrices sur les rendements, les coûts d’exploitation et la rentabilité globale des exploitations sur une période de plusieurs années. Le BCG entend par « pratiques régénératrices » les pratiques issues de l’agriculture de conservation des sols, et plus spécifiquement la réduction du travail du sol et la pratique assidue de couverts végétaux d’interculture diversifiés. 

+60% de bénéfices, le chiffre qui fait parler 

L’un des chiffres les plus marquants de cette étude est l’augmentation potentielle des bénéfices pour les agriculteurs. Selon le BCG, une fois pleinement mises en œuvre, les pratiques régénératrices peuvent accroître les profits des exploitations de céréales et d’oléagineux jusqu’à +60%, soit un profit (hors aides PAC) de 507 €/ha contre 355 €/ha après 6 à 10 ans de pratique, puis de 588 €/ha après 10 ans, en poussant plus loin la réduction du travail du sol et en profitant encore davantage de la « refertilisation » du sol.

Ces chiffres impressionnants méritent qu’on s’y attarde, les graphiques suivants montrent les surcoûts et les bénéfices des pratiques de régénération des sols, poste par poste :

etude boston consulting group regen ag
study boston consulting group regen ag

Réduire le travail du sol, oui… mais

La marge de progrès la importante est l’économie permise par la réduction du travail du sol, avec +97 €/ha, dont +69 €/ha d’économie directe sur les charges de mécanisation et +28 €/ha de perte de rendement évitée en cas d’épisode climatique défavorable. Ce poste explique à lui seul +27% de l’amélioration de la marge mais mérite une explication.

En effet l’étude attribue une meilleure structure de sol (« better soil structure ») à la réduction du travail du sol ; or, force est de constater sur le terrain que ces deux facteurs ne sont pas nécessairement liés : une réduction du travail du sol inadaptée ou trop rapide peut conduire à une dégradation de la structure, voire à une perte de rendement (lié à la dégradation de la structure ou encore à une mauvaise gestion des adventices). Dans la pratique, il sera nécessaire d’avoir une approche pragmatique, fondée sur le diagnostic de l’organisation physique du sol (profils culturaux), l’entretien ou la correction du pH et du statut calcique, la lecture d’analyses de sol, la réalisation d’un bilan humique, un plan de gestion du salissement et des flux de fertilité, etc.

Finalement, on pourrait dire que la réduction du travail du sol n’a pas pour conséquence l’amélioration inéluctable de la structure des sols, mais plutôt que c’est parce qu’on a une stratégie d’amélioration de la structure qu’on pourra réduire le travail du sol et obtenir les bénéfices mesurés par l’étude : profils de sol, corrections mécaniques ponctuelles et adaptées des défauts, plan d’alimentation du sol en matières organiques, raisonnement du trafic et de la circulation des engins, etc. L’objectif n’est pas de réduire les charges systématiquement mais de le faire à rendement constant.

Les couverts végétaux, l’outil gagnant

Le bénéfice généré par les couverts végétaux représente 15% de l’amélioration (+52 €/ha), une part non négligeable de la progression malgré des coûts importants (-98 €/ha de semis et de semences). Une pratique efficace des couverts végétaux génère +89 €/ha d’économie d’engrais (essentiellement de l’azote, ce qui reste vrai à condition d’intégrer des légumineuses dans les mélanges de couverture), +23 €/ha d’évitement de perte de rendement lié à l’amélioration de la structure du sol et un éventuel +28 €/ha lié aux certificats carbone pour les agriculteurs participant à un programme de ce type.

couverts végétaux

6 à 10 ans, le temps de la transition

L’étude du BCG souligne que ces résultats sont obtenus après une période de transition assez courte de 6 à 10 ans. Cette approche prend en compte le temps nécessaire pour que les sols et les écosystèmes s’adaptent et que les agriculteurs maîtrisent pleinement ces nouvelles pratiques ; mais cela montre aussi que la réorientation stratégique d’un système agricole permet de bénéficier d’avantages économiques assez rapidement, à condition bien entendu d’être capable de connaître sa situation de départ, de hiérarchiser les leviers d’actions et d’avoir une bonne maîtrise techniques de quelques fondamentaux agronomiques.

L’autre point à souligner est que si les techniques avancées (stage 2) de type semis sous couvert et associations de cultures permettent encore d’améliorer le bilan financier après 10 ans de transition (+21%, soit +74 €/ha), cette croissance est beaucoup moins fulgurante que celle de la première période de transition (stage 1) qui voit un vrai décollage de la rentabilité (+43%, soit +152 €/ha) entre 6 et 10 ans après la réadaptation du système de cultures. 

Éviter de perdre la moitié du rendement en cas de météo extrême

L’analyse du BCG ne se limite pas aux gains financiers immédiats, elle met aussi en lumière d’autres avantages économiques significatifs :

  1. Amortisseur climatique : avoir des sols résistants et résilients, avec un bon niveau de fertilité et d’activité biologique permet d’éviter des pertes de rendement jusqu’à 50% lors d’années marquées par des conditions météorologiques extrêmes. Dans notre contexte de changement climatique, cette résilience est un atout majeur pour des années de type 2016, 2020, 2022, 2024, dont la fréquence et l’imprévisibilité augmente,
  2. Valorisation des terres : L’amélioration à long terme de la fertilité des sols augmente le potentiel productif des terres agricoles, ce qui a un impact positif sur leur valeur, une notion importante dans une logique de transmission, à l’heure où la législation commence à s’intéresser au capital organique du sol et plus seulement à ses caractéristiques physico-chimiques.

8,5 milliards d’euros de bénéfices socio-écologiques par an

Au-delà des aspects économiques à l’échelle de l’exploitation agricole, l’étude a également évalué les bénéfices environnementaux et sociétaux de l’agriculture régénératrice, notamment en termes de séquestration du carbone, de qualité de l’eau et de biodiversité. L’étude estime que les bénéfices socio-écologiques de l’agriculture régénératrice en Allemagne pourraient atteindre environ 8,5 milliards d’euros par an. Ce chiffre comprend :

  • 6,8 milliards d’euros liés au renforcement de la capacité du sol à servir de puits de carbone
  • 1,2 milliard d’euros issus de la réduction des émissions de gaz à effet de serre
  • 500 millions d’euros résultant de l’amélioration de la qualité de l’eau

Des chiffres qui peuvent être extrapolés pour la France.

Conclusion : Toute la filière gagnante

L’étude du BCG souligne enfin que les bénéfices de l’agriculture régénératrice s’étendent bien au-delà des exploitations agricoles. Les entreprises agroalimentaires peuvent sécuriser leurs approvisionnements, réduire leurs risques liés aux fluctuations de rendements et renforcer leur réputation en soutenant ces pratiques durables.

L’approche de l’agriculture régénératrice n’est pas seulement bénéfique pour l’environnement, mais qu’elle représente également un investissement rentable pour les agriculteurs et l’ensemble de la filière agroalimentaire.

Face aux défis climatiques et économiques actuels, l’agriculture régénératrice offre ainsi une voie prometteuse pour concilier productivité, rentabilité et durabilité. A condition bien entendu d’avoir les idées claires sur la situation de départ, les leviers d’action mobilisables et les risques techniques associés : la connaissance et la formation sont désormais des intrants à part entière de systèmes agricoles performants et durables.

Retrouvez l’intégralité de l’étude du Boston Consulting Group en cliquant sur le lien ci-dessous :

Le décryptage de cette étude par Icosystème a également été publiée sur le site d’AgroDistribution :

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