Le bilan agroclimatique de l’année 2024 confirme une tendance amorcée depuis plusieurs décennies : l’instabilité climatique s’installe durablement dans les territoires agricoles français. L’hiver et l’automne exceptionnellement doux ont favorisé le développement de nombreuses maladies, en particulier sur la vigne, entraînant jusqu’à 18 % de pertes de rendement (Solagro, 2025). Les cultures annuelles, quant à elles, ont souffert d’une alternance entre excès d’eau et sécheresses localisées, compliquant les semis, perturbant les stades clés des cultures et amplifiant la pression des bioagresseurs.
Cette instabilité climatique, devenue la nouvelle norme, met en lumière les limites des modèles agricoles actuels, souvent trop vulnérables face aux aléas. Dans ce contexte, l’étude prospective Afterres 2050, portée par Solagro, apporte un éclairage stratégique sur les trajectoires d’adaptation possibles. L’un des leviers majeurs identifiés concerne la mise en œuvre de pratiques issues de l’agriculture régénératrice ou de l’agriculture de conservation qui visent à renforcer la robustesse des exploitations agricoles. Parcourons ensemble les enseignements de cette analyse !
Nos systèmes agricoles sont vulnérables aux aléas climatiques
Depuis plusieurs décennies, la France enregistre un réchauffement moyen de + 0,3 à + 0,4 °C tous les dix ans. Les dix années les plus chaudes depuis 1900 ont toutes eu lieu récemment, avec des pics enregistrés en 2022 et 2023. Cette tendance s’accompagne d’une forte variabilité des régimes de précipitations, alternant sécheresses intenses et excès d’eau soudains.
Ces aléas se concrétisent par une vulnérabilité croissante qui concerne tous les territoires en France et tous les systèmes de production. Pour beaucoup de filières, on est déjà dans des niveaux d’impact et de fréquence qui amènent à une forte vulnérabilité.
Les cultures annuelles, comme les céréales à paille, subissent régulièrement des épisodes d’échaudage liés à la chaleur et au manque d’eau, réduisant considérablement les rendements. En 2020, la sécheresse printanière a entraîné une chute de 20 % de la production nationale de céréales (Solagro, 2025). À l’inverse, des pluies excessives comme celles de 2024 provoquent des infestations parasitaires et rendent parfois les récoltes impossibles.
Les cultures pérennes ne sont pas épargnées : le gel tardif, les chaleurs estivales et la désynchronisation du cycle des cultures pérennes avec celui des pollinisateurs fragilisent la production fruitière. La vigne, par exemple, a subi une perte de rendement de 18 % en 2024, en raison des fortes pluies hivernales et automnales propices au développement de maladies.
Les « années normales » sont ainsi devenus l’exception. Et cette tendance va s’aggraver.
Que nous réserve 2050 en termes de climat en France ?
Selon la TRACC (Trajectoire de Réchauffement de Référence pour s’Adapter au Changement Climatique), qui représente le scénario vers lequel nous nous dirigeons avec les engagements climatiques actuels des différents pays au niveau international, la France pourrait connaître un réchauffement de +2,7 °C d’ici 2050 (et +4 °C en 2100). On y prévoit un réchauffement plus prononcé en été, et particulièrement dans le sud-ouest du pays :
Les précipitations hivernales augmenteraient dans le nord, tandis que le sud subirait une baisse notable des pluies estivales :
On doit aussi s’attendre à une augmentation du nombre de jours avec sols secs : une augmentation plus forte sur la moitié sud où elle approche souvent les 2 mois supplémentaires !
Cette variabilité accrue impose une transformation en profondeur de nos systèmes agricoles.
Les stratégies d’adaptation envisagées ne sont pas suffisantes
Solagro a analysé les stratégies d’adaptation des différentes filières agricoles et les a classé selon les trois grands types utilisés classiquement en recherche :
- Efficience : Elle vise à améliorer l’efficacité des procédés agricoles actuels (par la génétique, les outils d’aide à la décision, l’irrigation, l’utilisation de technologies numériques au champ…).
- Substitution : stratégie qui induit davantage de changements, plus complexes à mettre en œuvre : substituer certaines composantes du système sans en changer la finalité (substituer des cultures par d’autres, diversifier les composantes fourragères…)
- Reconception : Elle engage une refonte complète du système de production vers un système plus adapté aux contraintes climatiques (recomposer l’assolement, les rotations, diversifier les espèces cultivées, développer de nouvelles activités économiques).
Dans son étude, Solagro souligne que l’essentiel des travaux des filières à venir se situe dans les mesures d’efficience. Ainsi, beaucoup de travaux des filières agricoles portent sur la recherche d’efficience et peu sur des mesures transformantes qui auront un impact fort sur la robustesse des systèmes de production. C’est certes une première réponse en matière d’adaptation au changement climatique, mais elles ne suffiront pas à répondre à l’ampleur des bouleversements climatiques annoncés. Il est important de souligner ici que certaines mesures transformantes comme la diversification des systèmes de cultures sont difficiles à mettre en place notamment à cause du cloisonnement entre filières et une insuffisante coordination entre amont et aval.
Les leviers agronomiques : vers des systèmes plus robustes
Une des approches défendues par Afterres 2050 repose sur la généralisation de la production en Agriculture Biologique (viser 70% de la SAU en 2050), avec bien évidement une agriculture bio qui s’oriente vers des pratiques d’agriculture de conservation. Il s’agit notamment de :
- Réduire le travail du sol,
- Maintenir une couverture végétale permanente,
- Favoriser la biodiversité fonctionnelle dans les parcelles,
- Reconstituer des sols riches en matière organique.
- Augmenter la diversification
Ces leviers combinés renforcent la résilience face aux extrêmes climatiques. Un sol vivant tamponne mieux la sécheresse ou les fortes pluies, il joue son rôle de régulateur d’eau. Un paysage diversifié régule naturellement les bioagresseurs. Ces pratiques apportent également des bénéfices co-latéraux : diminution des émissions de gaz à effet de serre, réduction de l’usage des engrais azotés et des pesticides, amélioration de la qualité de l’eau.
Focus sur les effets des couverts végétaux pour protéger les sols de la chaleur dans cette vidéo Icosystème :
Vidéo disponible pendant 1 mois, du 24/04/2025 au 24/05/2025
Replacer le sol au centre des systèmes de production
Il est désormais indispensable de faire évoluer nos systèmes vers une agriculture fondée sur la robustesse des agroécosystèmes. Cette transition exige plus qu’un simple ajustement technique : elle suppose de mieux connaître et piloter la fertilité des sols, de former l’ensemble des acteurs. Le sol, en tant que support de production et régulateur naturel, constitue un levier central de résilience. Investir dans sa compréhension et sa régénération, c’est investir dans la stabilité de nos rendements, la durabilité de nos modèles et la sécurité alimentaire à long terme.
Retrouvez le scénario Afterres 2050 et les replays des webinaires Solagro ici :
D’autres travaux sur des scénarios climat – énergie – agriculture existent, que nous vous encourageons à lire : Shift Project, Ademe, TYFA,…